De janvier 1941 à mars 1942, date du voyage à Londres, le Mouvement s'était structuré et implanté progressivement dans la quasi-totalité des départements de la zone sud, ce qui - en raison des règles de cloisonnement et de prudence nécessitées par l'action de la gestapo - n'était pas allé sans risques ni difficultés.
Le premier Comité Directeur, à l'échelon national, comprenait, outre les "DOUZE" :
Le Mouvement avait donc débordé du cadre syndical.
Furent ensuite désignés, en qualité de responsables de régions et de départements :
Paris et l'Ile-de-France ont été dotés d'un Comité particulier dans lequel on relève les noms de GEVAUDAN, J. BIDAUT, J. MOULY, L. BONNET**, ANGOUSSET, AVIGNON, HARDY, ALLARD, GAUTHIER, PELADAN, P. CLAUDE et A. VILLIERS.
On remarquera le caractère décentralisé de cette structure. Cela évitera les noyautages traditionnels par la gestapo et assurera la pérennité et l'extension du Mouvement jusqu'aux combats de la Libération.
PINEAU devant se consacrer à la création du réseau "PHALANX" et CAVAILLES à son homologue en zone occupée "COHORS", des responsabilités nationales sont confiées à Henri RIBIERE, Charles LAURENT, Louis SAILLANT, et Albert GAZIER. Toutefois, PINEAU et CAVAILLES restent membres du Bureau National et recrutent beaucoup de leurs agents parmi les militants de LIBERATION.
Jean TEXCIER, qui signera Serge BOZE, assumera pour sa part la rédaction et la parution régulière du journal "Libération", désormais imprimé. Il s'acquittera de cette tâche avec un talent et un brio exceptionnels. Enfin, sous l'impulsion de Charles LAURENT et d'Henri RIBIERE lié d'amitié avec Jean MOULIN depuis le gouvernement de Front Populaire, en 1936, "LIBERATION" étend son action aux administrations publiques, aux grands services publics, aux membres de l'enseignement, aux milieux intellectuels.
Après avoir situé LIBERATION-NORD dans le contexte de la Résistance, nous tenterons de rappeler ici, successivement, les traits dominants de l'action du Mouvement pour ce qui concerne :
Le journal "LIBERATION"(1) fut régulièrement publié, chaque semaine, de Décembre 1940 au 19 août 1944.
Il fut le seul des organes de la Résistance à paraitre sans défaillance jusqu'à la Libération et compte, à ce titre, 190 numéros.
La parution des 70 premiers numéros fut assurée, jusqu'à son arrestation par Christian PINEAU, puis le relais fut assuré par Jean TEXCIER et Jean CAVAILLES, assistés par une équipe de collaborateurs parmi lesquels Clair-Gérard LAGARDE, enfin, après l'arrestation de Jean CAVAILLES (28 août 1943) par Jean TEXCIER seul. Celui-ci, haut fonctionnaire, présentait une physionomie originale et singulièrement attachante.
Militant depuis sa jeunesse aux Étudiants Socialistes, il sut déployer jusqu'en 1939 une activité multiforme d'érudit, de journaliste, de poète et de peintre (doté d'un beau talent). Sa réserve souriante, voire ironique, masquait une volonté rigide et une détermination sans faille. Il sut s'assurer la collaboration d'imprimeurs qui n'ignoraient en rien les risques encourus.
La diffusion du journal fut assurée, dans l'ensemble de la zone occupée, par les responsables départementaux du Mouvement grâce à son implantation dans l'action syndicale, les administrations, la SNCF, les PTT, l'EDF, les organismes de sécurité sociale et la police.
Il sera permis de rappeler les pertes subies, durant l'occupation, par l'ensemble des réseaux de la France Combattante(2) :
Les réseaux reliés à "LIBERATION-NORD" assumèrent une large part de ces sacrifices.
- LE RESEAU PHALANX fut créé par PINEAU au retour de son premier séjour à Londres (février-mars 1942).
On ne citera qu'un exemple de l'efficacité de son action et de la qualité des informations communiquées par lui à Londres : la destruction, dans la nuit du 3 au 4 mai 1944, de la division Panzern Hohenstauffen (400 chars détruits, 1 000 tués).
- LE RESEAU COHORS-ASTURIES fut également créé par PINEAU et confié par lui à Jean CAVAILLES qui fit de son réseau l'un des plus agissant de la zone occupée.
Jean CAVAILLES était, de l'avis de ses pairs, l'un des esprits les plus profonds et les plus brillants de son temps. Philosophe, mathématicien, Professeur à la Sorbonne, il disposait d'un charisme agissant, dû à l'étendue de sa culture, à la fermeté de son caractère, à un sens rare de l'organisation, enfin à sa passion pour la liberté et, partant, à sa haine du nazisme.
Il sut grouper autour de lui des hommes et des femmes appartenant aux milieux les plus divers (Polytechnique, capitaines d'industrie, scientifiques (parmi lesquels Yves ROCARD, l'un des physiciens français les plus éminents).
C'est également à Jean CAVAILLES que "LIBERATION-NORD" dût son implantation rapide dans l'armée secrète en raison des relations personnelles qu'il entretenait parmi les hauts gradés de l'armée. Il fut arrêté le 28 août 1943 et fusillé en février 1944, Jean GOSSET**, son ami intime, poursuivit la tâche ; il devait être arrêté à son tour le 24 avril 1944 et mourir en déportation. Le réseau COHORS-ASTURIES implanta des antennes en Belgique et en Suisse.
Il compta 992 agents homologués et 130 victimes.
- LE RESEAU ELEUTHERE
Il fut animé par Hubert de LAGARDE**, qui fut arrêté le 26 juin 1944 et mourut en déportation le 25 janvier 1945. Citons parmi ses dirigeants SCREPPEL, SEGOUFFIN et LAGRANGE.
Il compta 418 agents homologués, 8 fusillés, 26 morts en déportation et 60 déportés revenus des camps.
- LE RESEAU BRUTUS
Constitue en zone occupée l’antenne du réseau principal crée en zone non occupée et dont les animateurs furent André BOYER**, G. VEDEL*, R. NAVE**, le Colonel FOURCAUD, Gaston DEFFERRE, H. DOCQUIERT et Pierre SUDREAU*.
Il agit en liaison étroite avec "Police et Patrie" (voir ci-après).
L'un de ses responsables les plus efficaces fut André KLEINPETER** qui, trahi, devait mourir en déportation en mars 1945.
L'initiative de la création de cette filiale de LIBERATION NORD appartint à Henri RIBIERE.
Celui-ci avait été le collaborateur direct de Marx DORMOY au Ministère de l'Intérieur en 1936 ; il était étroitement lié à Jean MOULIN et avait su garder, tant à la Sûreté Nationale qu'à la Préfecture de Police de Paris, des amitiés fidèles.
Le risque de la création d'un mouvement de Résistance dans la police était grand, car Vichy et l'occupant exerçaient sur ce milieu particulier une surveillance sourcilleuse.
Rappelons, à ce titre, l'existence - au sein de la Préfecture de Police - des brigades spéciales du Commissaire DAVID (2 074 arrestations, 120 fusillés, 415 résistants livrés à l'occupant) ainsi que celle de l'équipe MASUY et du groupe dit "de la Rue Lauriston" (BONY, LAFONT).
Mais Henri RIBIERE, avec lequel PRIOU-VALJEAN eût l'honneur de collaborer étroitement au sein de "Police et Patrie", sut vaincre toutes les réticences, aidé de hauts fonctionnaires, tant de la Sûreté Nationale (COMBES, DUCLOUX, BIGET) que de la Préfecture de Police (PELLEVOISIN, OUTRAY, STRAUMANN...).
L'ascendant d'Henri RIBIERE était en effet considérable car s'alliaient en lui une intransigeante fermeté, une extrême réserve et une profonde affectivité qui attiraient une vive sympathie et une entière confiance.
"POLICE ET PATRIE" (qui publiera régulièrement un bulletin d'information) fut constitué en juillet 1942, dans les locaux du magasin "Le Nouveau-Né", rue des Pyramides à Paris. Le Directeur de cet établissement, M. LAIR** devait mourir en déportation ainsi que son collaborateur H. RISLER**.
En raison des risques particuliers le Mouvement dût fixer ses relais dans des lieux très divers : rue des Wallons, chez l'Inspecteur MESLIER** qui devait lui aussi mourir en déportation, chez PICOT, quai Voltaire, chez REVEL, rue des Blancs Manteaux (où siégera également le Comité Directeur d'Ile-de-France).
L'action de "POLICE ET PATRIE" s'affirme d'une rare efficacité, tant pour ce qui concernait la détection des policiers collaborateurs que pour la sauvegarde des résistants recherchés.
Son implantation dans la Sûreté Nationale, la Police Municipale (commissaires OUTRAY et LAMBOLLEY), les services techniques, la Garde Républicaine (LieutenantColonel MATHIS) enfin dans les services de la défense passive (Directeur PERIER, Commissaire A. MICHEL) lui permit de recueillir des informations de première importance sur les initiatives de l’occupant, informations transmises au B.C.R.A. par le truchement des réseaux COHORS-ASTURIES et BRUTUS.
Il est utile de rappeler que le Comité exécutif de "POLICE ET PATRIE", auquel avaient été adjoints, à la fin de 1943, Jean ANGOUSSET, Edouard DEPREUX et André KLEINPETER** prit une part décisive à la Libération de Paris, en arrêtant, de concert avec les deux autres organisations de résistance dans la Police "Honneur de la Police" et "Front National Police" la décision de déclencher la grève dans la police parisienne, le 15 août 1944, puis celle d'occuper la Préfecture de Police (19 août 1944).
La lutte contre le STO fut conduite, pour l'essentiel, par Roger DENIAU qui sut s'assurer des collaborations précieuses au sein de l'Inspection du Travail (René JOULAIN, Roger DAVID).
Un centre d'action fut aménagé au siège du Centre de démobilisation de la rue de Liège, à Paris 9°, sous l'autorité du Docteur PARLANGE* et de Mme de JERMONT qui, lors de la descente de la milice où fut arrêté le Docteur PARLANGE, réussit à s'enfuir mais fut condamnée à mort par contumace.
On se fera une idée - fort incomplète - de l'activité de ce centre quand il aura été rappelé qu'il disposait de 3 000 faux cachets, qu'il a délivré plus de 100 000 faux documents d'identité et assura la sauvegarde et le départ vers les maquis de plus de 5 000 réfractaires.
L'action fut conduite au sein du NAP par René MENUET, J. BIDEBERRY, L. LUGUERN, R. GARDELLINI, de Résistance-Fer (voir ci-après), des services de l'électricité de France par F. BOYER, des organismes de Sécurité Sociale par A. TEXIER, R. PRIOU-VALJEAN et Solange KLEINPETER.
Il sera utile de rappeler qu'en juillet 1944, Résistance-Fer procéda, en 3 semaines, à 200 sabotages et mit alors hors d'usage 200 locomotives, plus que ne fit un mois et demi de bombardements(3). "LIBERATION-NORD" n'eut pas, et de loin, le monopole de l'activité de Résistance-Fer, mais il est légitime de souligner que certains de ses militants tels que Gabriel THIERRY, Compagnon de la Libération, G. DETRAVE*, André ALLARD et Alain POHER y assumèrent des responsabilités de premier plan :
Sur ce plan, les missions les plus risquées furent accomplies par le corps franc de "POLICE ET PATRIE" et celui des "CLOCHES DES HALLES" animé par Simon CANTARZOGLOU*, qui devait être de longues années le Secrétaire Général de "LIBERATION-NORD" après son retour de déportation - et dont 25 membres périrent en déportation. Les "CLOCHES DES HALLES" organisèrent en outre plusieurs maquis en Loir-et-Cher, Aube et Côte d'Or.
(1) voir Jean TEXCIER, "Un Homme Libre" - Éditions Albin MICHEL
(2), (3) voir H. MICHEL "Histoire de la Résistance en France" - P.U.F.