Né le 16 mai 1908 à Valenciennes (Nord), Albert Pierre Auguste Gazier est issu, note-t-il dans une esquisse autobiographique, d'une famille "de moyenne bourgeoisie universitaire", de tradition janséniste. Son grand-père a été le fondateur de l'Association des amis de Port-Royal-des-Champs. Son père, Félix Gazier est professeur agrégé au lycée d'Orléans, où le jeune Albert débute ses études.
Un drame bouleverse la vie du jeune garçon. Son père, mobilisé en 1914, capitaine d'infanterie est tué en 1916 à Bouchavesnes "au cours d'une de ces innombrables attaques au lourd bilan dont le but était de reconquérir quelques mètres de tranchée pour étoffer les communiqués gouvernementaux". Pupille de la nation à huit ans, Albert Gazier va poursuivre ses études secondaires au lycée Condorcet à Paris où il obtient le baccalauréat de philosophie et de mathématiques. Alité durant deux ans après avoir contracté la tuberculose, il entre dans la vie active à 20 ans, comme vendeur en librairie aux Presses universitaires de France tout en poursuivant des études qui le conduisent à l'obtention de la licence en Droit.
Albert Gazier, dont la conscience politique s'est éveillée lors du Cartel des Gauches, adhère à la SFIO en 1932. Il milite à la section de Bois-Colombes et sera candidat socialiste aux élections cantonales de 1935 et aux législatives de 1936. Il adhère parallèlement au syndicat des employés CGT de la Région parisienne et crée une section syndicale dans son entreprise. Après avoir été choisi comme responsable de la section librairie de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne, il est élu en 1935 secrétaire général de cette organisation, tout en continuant son travail de vendeur. Après les grèves de juin 1936, son syndicat réunifié voit ses effectifs multipliés par 18 et il devient permanent syndical. Syndicaliste confédéré de la tendance Jouhaux, Gazier condamne les accords germano-soviétiques en août 1939. Le mois suivant, bien qu'exempté médical depuis 1928, il fait sur sa demande son service militaire en intégrant un peloton d'EOR.
Après la défaite, Gazier tout juste démobilisé est confirmé à son poste de secrétaire général de la Chambre syndicale des employés de la Région parisienne par le conseil d'administration du 6 octobre 1940. Mais Gazier s'oppose aux vues corporatives de Vichy et à la politique de René Belin, l'ancien secrétaire de la CGT devenu ministre. Il s'efforce de sauver le syndicat de la mainmise du nouveau pouvoir qui espère en faire un outil en faveur de la Charte du travail.
Le 9 novembre 1940, le gouvernement de Vichy prononce la dissolution des Confédérations. Quelques jours plus tard, Gazier, est avec Christian Pineau, Robert Lacoste, Louis Saillant, Oreste Capocci, Chevalme, Jaccoud, Neumeyer, Vandeputte, pour la CGT et Bouladoux, Gaston Tessier, Zirnheld pour la CFTC l'un des douze signataires du Manifeste du syndicalisme français qui déclare : " Il ne peut être question de renier le passé (...) Le syndicalisme français ne peut admettre en particulier l'antisémitisme, les persécutions religieuses, les délits d'opinion, les privilèges de l'argent (...) Il est faux de prétendre aujourd'hui que la défaite de notre pays est due à l'exercice de la liberté des citoyens (...) Nous ne devons pas nous considérer, au hasard d'une défaite militaire, comme une nation ou un peuple inférieur ".
Afin de rassembler les syndicalistes indépendants, Gazier est, avec Deniau et Pineau, l'un des fondateurs du Comité d'études économiques et syndicales, dont ce dernier écrit qu'il vise à rassembler, sous le couvert d'un comité d'études "un noyau de camarades décidés à respecter et à rappeler à ceux qui ne respectent plus les véritables principes du syndicalisme français ". Il s'agit d'une "politique de la présence", comme le note l'historien Jean-Pierre Le Crom. Elle est rendue difficile dans son cas car dans la Chambre syndicale des employés de la Région parisienne, les partisans de Vichy, les neutralistes et les "pacifistes", souvent unis, représentent une part importante du conseil d'administration. Et, si les partisans du Manifeste ne sont pas moins nombreux, d'autres syndicalistes sont hésitants : "les clivages étaient moins nets et en perpétuelle évolution" écrit-il à ce propos, l'équilibre variant au hasard des présences.
Albert Gazier entame alors une double existence : légale et clandestine. Sur le plan légal, la chambre syndicale des employés mène le combat pour l'interdiction des licenciements, principalement ceux des démobilisés et des femmes de prisonniers, pour l'octroi d'indemnités aux employés déjà licenciés et aux travailleurs touchés par le chômage partiel et pour la revalorisation des salaires. Elle obtient des succès, comme la loi du 2 juillet 1941 sur le commerce de détail ou des accords d'octobre 1940 dans l'assurance et ceux de mai 1941 à la Bourse.
Cependant, la Chambre syndicale doit faire face à des difficultés, comme l'interdiction de distribuer des tracts et d'éditer des journaux, les mauvaises relations avec la presse collaborationniste qui ne publie que peu de ses communiqués et, surtout, la présence en son sein d'un fort courant favorable à René Belin. Gazier participe donc aux débats sur la Charte et les corporations, produisant plusieurs rapports dans lesquels les idées de syndicat obligatoire sont critiquées et où il défend les thèmes de la liberté syndicale, de la représentativité des organisations dans chaque profession, ou "à défaut, un syndicat unique à organisation démocratique", du libre choix des dirigeants par les syndiqués, de la nécessité des confédérations nationales, etc.
En août 1942, il signe, comme secrétaire général, la lettre annonçant à l'Union des syndicats de la région parisienne que le conseil d'administration de son syndicat ne paiera plus les cotisations à celui-ci, "considérant que l'Union des syndicats n'a pas respecté les principes d'indépendance posés dans ses statuts". En septembre suivant, il refuse de siéger au Conseil supérieur de l'économie industrielle. Avec ses compagnons du Manifeste du syndicalisme français et des socialistes de la zone occupée, Gazier fonde le mouvement de Résistance Libération-Nord qui transmet à Londres des renseignements sur les entreprises et dispose de divers services spécialisés, surtout dans la propagande. La Chambre syndicale qu'il dirige monte l'un des plus importants bureaux de fausses cartes d'identité de Paris. Gazier est nommé l'un des sept secrétaires du bureau clandestin de la CGT.
Après les accords du Perreux qui aboutissent à la réunification syndicale en avril 1943, il est confirmé comme l'un des secrétaires confédéraux. Naturellement, Gazier est régulièrement surveillé. Un rapport de la préfecture de police du 11 juin 1942 le situe avec justesse "de la tendance Jouhaux", partisan convaincu "du syndicalisme sur la base de la Charte d'Amiens" et "adversaire de la Charte du Travail", ajoutant qu'"il est donc hostile au plan de redressement social conçu et élaboré par le Chef de l'État français".
Il échappe en 1942 à une arrestation, étant absent de son domicile. La police perd sa trace en 1943, lorsqu'il déménage en mai d'un logement du XIXe arrondissement. Recherché par la Gestapo, il passe dans la clandestinité et se réfugie un temps dans le Jura. Une fausse carte d'identité datée d'août 1943 lui attribue le pseudonyme de "Droux Roger, Pierre, employé au contentieux, domicilié dans le Nord". Il est, à cette date, membre du bureau clandestin provisoire de la CGT reconstituée. Désigné comme délégué de la CGT auprès de la France libre, en octobre 1943, il s'envole clandestinement pour Londres, en compagnie de Vincent Auriol, Just Évrard et Émilienne Moreau. Puis, il se rend à Alger, où il représente la CGT auprès du gouvernement provisoire et surtout à l'Assemblée consultative provisoire (ACP), avec Bouzanquet et Buisson. Il s'inscrit par ailleurs au groupe socialiste. Il participe, comme parlementaire, à la conférence de Brazzaville.
Rentré en France le 4 septembre 1944, Gazier est confirmé comme l'un des secrétaires de la CGT, représentant les anciens confédérés avec Saillant et Bothereau. Il collabore à l'équipe qui publie le journal Résistance Ouvrière à partir du 24 novembre 1944.
En janvier 1945, il est de la délégation de la CGT qui se rend à Moscou, avec Frachon et peut mesurer ce qui le sépare de la nouvelle majorité de la CGT. Le congrès confédéral de la CGT des 27-30 mars 1945 le nomme aux fonctions de secrétaire de l'organisation, aux côtés de Frachon et il est délégué au Congrès mondial des syndicats ouvriers à Londres et à l'Institut de coopération intellectuelle. Il est désigné au Comité exécutif de la Fédération syndicale mondiale. Mais à partir d'octobre 1945 et de son élection à la députation, il abandonne ses activités syndicales de premier plan pour se consacrer à l'action politique. Il restera route sa vie membre de Force ouvrière. Syndicaliste venu en politique, il bénéficie dans son nouveau milieu d'une réputation flatteuse, liée tant à sa compétence qu'à sa fidélité à ses principes et à sa simplicité. Il est en quelque sorte un "Mr Smith au Sénat" à la française. Reconduit à l'ACP à Paris, au nom de la CGT, Gazier a rapporté l'un des principaux projets issus du programme du CNR, le projet d'ordonnance instituant les comités d'entreprise à l'Assemblée consultative le 5 décembre 1944. Il entend continuer cette action parlementaire et, le 21 octobre 1945, il se fait élire député SFIO dans la 5e circonscription de la Seine. Régulièrement réélu, il siège à l'Assemblée nationale jusqu'en 1958. Il participe encore à plusieurs gouvernements du GPRF, puis de la IVe République.
En 1946, il est successivement sous-secrétaire d'État à l'Économie dans le gouvernement Félix Gouin, puis sous-secrétaire d'État aux Travaux publics et aux Transports dans le gouvernement Bidault, enfin secrétaire d'État à la Présidence du Conseil, chargé de l'Information du gouvernement Blum. Ministre de l'Information (juillet 1950-juin 1951) dans le gouvernement Pleven et Queuille, il se voit attribuer un grand ministère des Affaires sociales dans les gouvernements Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury (février 1956-novembre 1957). Il est une dernière fois ministre de l'Information du gouvernement Pflimlin en mai 1958.
Refusant les conditions du retour au pouvoir du général de Gaulle, il est le seul ministre à participer à la manifestation du 28 mai et prend position contre la Constitution le 1er juin 1958. Membre de la direction de la SFIO de 1947 à 1969 et du bureau du parti de 1956 à 1965. Battu aux élections législatives de novembre 1958, Gazier entre dans un bureau de conseils pour y animer un département de coopération avec le Tiers Monde (la SEGOS). De nouveau membre du Bureau national du Parti socialiste après le congrès d'Épinay, il achève sa carrière publique au Conseil supérieur de la magistrature où il fut nommé par Pierre Mauroy en 1985.
Il décède le 3 mars 1997.
Source : Gilles Morin, "Albert Gazier" in DVD-Rom La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004